Réparation de la structure lumineuse pour la série "La Linea Roja" // Oct 2015
LA PLAGE DE CALA ESTRETA
Il est 23h, la plage est déserte, juste Lucas et moi. Lucas, c'est mon assistant, il me sert d'ami le reste du temps.
Nous sommes arrivés le jour même et après repérage, c'est cet endroit qui me parait le plus intéressant, j'y vois le triangle retourné, forme indispensable à ma série auquel je n'ai pas trouvé de place jusqu'a présent. Reste à savoir comment la faire tenir?
On construit tout sur place, la structure en bois se fait vite mais les problèmes arrivent avec la présence de l'eau. L'électronique n'aime pas l'eau. J'étanchéise la batterie avec des préservatifs. Ça avait marché dans un étang à Vincennes mais la mer c'est différent et trois néons cramés plus tard, j'installe le dernier qui me reste avec cette fois-ci, ne faites pas ça chez vous, trois préservatifs additionnés.
Mise en place de l'installation lumineuse pour la série "La Linea Roja" // Oct 2015
L'eau est peu profonde, la structure tient enfoncée dans les cailloux mais le va-et-viens des vagues la déloge et risque de percer les préservatifs.
Il faut faire vite sauf que je suis à 15m de Lucas, au milieu de l'eau, sur un rocher et les vagues font beaucoup de bruit, il ne m'entend pas. J'essaie les signes, je lui jette du sable, rien à faire il pige pas.
Je me résous à laisser mon materiel au milieu des vagues, 5000€ sur un rocher - pensez à ne jamais me racheter mon matos d'occasion - et je vais voir la structure pour trouver un moyen de la maintenir droite.
Pas de solution miracle, Lucas va déplacer progressivement la structure jusqu'à qu'elle soit parallèle à l'horizon. Entre deux séries de vague, on finit par tomber juste.
Première photo de la nuit dans la boite, il est 1h. On en fera 3 de plus cette nuit-là. La dernière, il est 5h du mat. S'en suivra un moment assez ridicule mais ça sera pour une prochaine fois.
"Le résultat final // La Linea Roja" // 2016
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UN ARTISTE LENT
Il est 7h, le soleil se lève derrière les arbres sur les hauteurs d’Albarracín et je suis fatigué. Je suis assis sur un énorme rocher et je contemple la scène avec Lucas.
Vous voyez l’ardoise magique de notre enfance, quand d’un geste votre petit frère gomme les 3h passées à faire une maison parfaite? C’est un peu la sensation que j’ai à ce moment. Le soleil vient d’effacer ma nuit de travail.
Mais mon pote Lucas, lui, il aime bien ces instants là, je sais ce qu’il se dit intérieurement. « Une nuit blanche comme celle là , on s’en rappellera toute notre vie. » C’est un romantique. Alors je reste assis là, à ses cotés, le laissant se délecter de cette maudite gomme magique.
Pour mieux comprendre ma frustration , il faut reprendre du début. Trois jours avant, pendant les repérages, j’ai flashé sur cette forêt et j’ai de suite imaginé la traverser avec le fil rouge. Confronter la ligne rouge aux troncs verticaux, faire rentrer en résonance les fracas de la lumière sur le bois. Trancher dans le vif.
Hélas les meilleures idées dans ma tête sont loin de l’être à la réalisation. Et ça fait bientôt 3h que j’essaie d’installer ce maudit neon sans l’ombre d’un succès. L’objectif de mon appareil a gelé deux fois, j’ai cassé 3 connectiques, j’ai froid et toujours pas la moindre trace d’une photographie.
Lucas me rejoint vers 2h du matin et contemple l’étendue de l’échec. Auquel il répond d’un laconique et je le cite mot pour mot « Pourquoi tu mets pas le néon dans le sens des arbres? »
Ça fait 3h que j’installe le fil à l’horizontale, pour créer une rupture avec l’alignement des arbres, tout ça tous ça!. Et ce petit … de Lucas Simon vient me trouver la solution en moins d’une minute. Non merci.
Dans ces cas là mon égo lutte toujours un peu mais je dois m’y résoudre, plutôt que de rentrer en rupture avec ces arbres, autant les accompagner.
Et on part, Lucas, moi, mon égo en moins, à la recherche de cette image.
Il nous reste que peu de temps, et par peu de temps, j’entends, pour le photographe lent que je suis. Parce que techniquement, n’importe quel autre photographe aurait réglé ça en un centièmes de seconde. (Imaginez, si j’additionne le temps photographique des 100 plus grand photographes au monde, a eux tous, ils n’atteignent pas le quart d’une seule de mes images. C’est quand même terrible qu’avec un médium aussi rapide, j’ai réussi a faire un truc aussi long et compliqué.)
Bref, 30 minutes de poses, 30 minutes d’attentes, il me reste 1h30 avant que le soleil n’arrive avec sa grosse gomme.
S’en suit une sorte de ballet assez folklorique. Imaginez deux zozo slalomant dans la forêt en pleine nuit avec comme principal objectif de ne pas se prendre un arbre dans la mouille. Vous serez encore loin du compte mais j’ai plus le temps de vous détailler l’absurde de cette situation qui se déroule cette fois sans témoins pour le plus grand bonheur de l’estime que je me porte.
C’est fait, sans pouvoir peaufiner, s’achève cette nuit laborieuse avec une image dans la boîte.
C’est frustrant mais c’est la vie d’un artiste lent.